La gravure CK de la pizzéria

Il était là. Debout près du bar. Adossé nonchalamment au chambranle de la porte, chambranle qui nous piqua immédiatement de jalousie meurtrière de par le contact dont ce dernier jouissait avec les quelques cm2 de son épaule. Son portable à la main, ses doigts puissants tapant agilement un texto adressé nécessairement à quelque mannequin tchèque trop grande et trop maigre, avec toute l’assurance d’une bombe sexuelle dotée d’une mâchoire carrée appelant au viol et d’un corps orgasmiquement clubmedgymé.  Une gravure Calvin Klein dans une pizzeria. Un mec de pub pour slibards.

En gros, le type de mec qui donne envie de le rouler dans le pecorino de la pizza qu’on venait de commander, de lui frictionner le corps avec les artichauts marinés de la Quatre-saison et de lécher l’ensemble pendant des heures – en n’oubliant pas l’inter-orteil. Un mec capable de faire perdre leurs consonnes à un commando de trois bonnasses linguistes surdiplômées, légèrement électrisées, certes, par la consommation préalable de bière Kriek à la framboise, mais encore tout à fait maîtresses de leurs capacités sexuelles intellectuelles.

Et quand il finit par lever les yeux du portable susmentionné – auquel on aurait volontiers substitué une partie de notre anatomie,  c’est toute l’huile d’olive du restaurant qui s’est déversée en un énorme déluge de mâle sensualité sur les tables en bois verni, les photophores et nos cuisses Chantal-thomassées.  Un regard de braise qui ne nous lâchait pas et qui nous hurlait: “Je suis un dieu du sexe, je suis capable de vous faire jouir 7 fois de suite en l’espace de 7 minutes sans que vous ayez même à vous concentrer ou à penser à une scène de Basic Instinct, faites un signe et je vous assaisonne chacune à votre tour de vinaigre balsamique dans la ruelle en contrebas”.

Et aussi glamour et décomplexées que nous soyons, quand le serveur nous a tendu les pizzas à emporter, nous les avons prises de nos mains fébriles sans mot dire et sommes sorties du restaurant les jambes cottoneuses.

Et avons ensuite passé le reste de la soirée à ravager son corps au moyen des mots les plus crus de notre lexique de femmes lettrées du 21ème siècle et à métaphoriquement lécher ses pectoraux en léchant nos petites cuillers remplies de glace Ben & Jerry au speculoos.

Your Hotness

Mes amis, c'était beau comme une tragédie grecque.

Je ne dis pas ça seulement parce qu'on avait un Apollon (oui oui oui, je valide: Calvin-Kleinesque, même si on pensait plus à "big" qu'à "klein", hein...), mais aussi parce que la situation était véritablement dramatique. On était à la pizzeria, certes, mais on se sentait plutôt sur l'Olympe, avec Zeus, ses éclairs, les eaux de la Mer Morte qui se séparent, les chiens qui miaulent, les chats qui aboient - mais euh, oui, bon, je m'emmêle un peu les pinceaux. C'est pas ma faute, c'est les phéromones.

Je disais donc : tragédie. Car alors que les pizzas s'avançaient vers nous, toutes chargées de ce pécorino et de cette mozzarella tant convoités - que dis-je, convoités : fantasmés - il nous fallait prendre une décision. Soit faire comme si de rien n'était, et continuer notre trip soirée entre meufs, soit saisir l'opportunité calvinkleinesque, et se la jouer autrement : walkyries du sexe, amazones du coup du soir, toi-là-bas-quitte-ton-chambranle-viens-dans-notre-chambre-et-br....

Imaginez le flip:

La pizza est en route.

Le serveur se saisit du carton au ralenti, comme dans les replay des jeux olympiques, sauf que là, on a envie de pleurer.

Le carton s'approche. Nos yeux suivent ce trajet déchirant : la pizza et le pécorino (cachés par le carton, mais très présents dans nos têtes), le mec pub de calbute qu'on voudrait voir nous culbuter. Je suis pas prêteuse, mais là, j'aurais attendu mon tour sans problème, et il aurait pu m'appeler Janine, ou maman, tiens (euh... non, finalement) (quoique, tant qu'à faire dans la tragédie grecque...). Puis re-pizza. Puis les copines: qu'est-ce qu'elles pensent? Elles ont une idée pour lui faire quitter sa doudoune? On peut l'inviter à bouffer le pécorino? sur nos seins - euh oui euh non?

Les pizzas se rapprochent.

Putain les filles qu'est-ce qu'on fait???? Putain je vais prendre les pizzas et sauter sur le mec en lui disant: tirons-nous baiser sous le porche de l'immeuble d'en face, j'ai une Regina au pécorino? Ca se fait? Non, je peux pas plaquer les copines! surtout que les copines, elles sont hot. Travail d'équipe!!

Les pizzas sont sous notre nez.

La résignation s'abat sur nous.

On paie. On part.

J'ai failli casser la porte en verre de la pizzeria en la refermant.

Your Wonderness